Nous aurions pu être amants. Nous ne serons pas amis. Il existe une forme de cruauté plus subtile que le rejet : celle de la conversion. Transformer un amour en amitié est souvent présenté comme un acte de maturité, de sagesse émotionnelle, voire de noblesse. Mais dans les faits, il s’agit d’un travestissement. Une tentative de neutraliser l’irrationnel, d’adoucir une douleur vive en lui imposant les codes d’un lien socialement toléré. Or, aimer n’est pas une erreur qu’on répare par l’amitié ; c’est un vertige qu’on ne descend pas sans fracas. Dire « Nous ne serons pas amis », ce n’est pas déclarer la guerre. C’est refuser le mensonge. L’amour impossible ne se dissout pas dans la tendresse platonique ; il s’y fossilise, se répète, se réveille au détour d’un regard, d’un souvenir, d’un silence trop long. Ce qu’on aurait pu vivre ne disparaît pas — il hante. Et vouloir rester amis, dans ces conditions, c’est entretenir ce fantôme, lui dresser un autel invisible au cœur du quotidien...