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Le crépuscule des damnés ou lorsque la foi ne suffit pas

 


Cela fait longtemps que maman et moi attendions cette quarantaine. Depuis plus de deux mois, une prophétesse a annoncé la fin des temps à la RTNH. « J’ai fait un rêve. Le monde était semblable à un cimetière à ciel ouvert. Des morts et des os asséchés par le soleil jonchaient toute la circonférence de la planète. D’un bout à un autre. Les quelques rares vivants étaient entassés dans des maisons, crevant de faim et de soif, ne pouvaient pas sortir. Sinon ils se feraient cuir par un seul rayon du soleil, ou foudroyer par les éclairs qui sillonnent le ciel la nuit et brûlaient les quelques végétations que les rayons de soleil n’avaient pas pu atteindre. Le jour, le ciel était rouge, telle une rivière infinie de sang. La nuit, il était noir comme de l’encre. J’ai donc demandé à l’ange qui m’accompagnait : « Qui sont ces gens morts au quatre coins du globe ? » Pour toute réponse, il m’a dit que ce sera ça le monde après l’enlèvement de l’église. Les gens qui ne seront pas enlevés seront des suppliciés. Ils souffriront de chaleur le jour et de froid atroce la nuit. Jusqu’à ce qu’ils soient conduits aux portes de l’enfer où ils seront éternellement tourmentés. Après cela il a ajouté : « Pieuse servante de Dieu, va annoncer cela au quatre coins du globe et, peut-être, les fils des hommes sauront attendrir la face de Dieu. Pour te faire aider, tu iras trouver les membres de tous les gouvernements du monde qui devront faire un jeûne de quarante jours. Le salut de leur peuple est entre leurs mains. Sinon ce qui doit arriver arrivera. Dans un bref délai. L’homme ne pourra plus faire marche arrière. » Puis je me réveilla. »

Ainsi la dame a fait le tour du monde pour diffuser sa prophétie. Elle a rencontré le pape, est allée  à l’ONU, a rencontré tous les présidents du globe… Mais seule Haïti et quelques pays de l’Afrique l'a prise au sérieux. Certains parce qu’ils ne croyaient pas à ce Jésus, d’autres étaient trop occupés à faire marcher la machine économique et ne trouvaient pas d’intérêt de se préoccuper d’une telle folie.


*

Dans ma famille, nous sommes croyants. La prophétie de la dame avait soudain éveillé en nous un vif intérêt. Fallait-il la croire ? Jésus avait annoncé qu’il y aurait de faux prophètes. Était-elle un ? Notre pasteur peut sûrement éclairer nos lanternes. S’il a des dons de guérison, il peut sans doute aussi reconnaître si cette dame dit la vérité.

Je ne me suis pas fermé l’œil cette nuit. J’étais impatient d’aller voir le pasteur Simon. Alors au petit matin, après avoir pris mon petit-déjeuner avec ma mère et mes frères et sœurs, j’ai pris ma bicyclette et j’ai filé à toute jambe chez le pasteur.

 *

Le pasteur lisaient tranquillement sa bible sur sa galerie. Devant lui, il y avait une panoplie de livres de théologie qui traitaient l’enfer, le paradis, le mensonge, le péché… Lorsqu’il m’a vu venir, un sourire taquin s’est dessiné sur son visage. Il sait déjà pourquoi je suis là. Car, soit je venais chez lui pour Haydée, sa fille aînée ou pour jouer au PlayStation avec John, son fils. Mais en vérité, je venais toujours pour Haydée. La PlayStation n’était qu’un alibi.

_Bonjour pasteur, je lui dit tout essoufflé.

_Bonjour Joce, me répond t-il. Mais tu es tout essoufflé. Ne me dis pas que tu viens pour mes enfants de si bonne heure.

_Non pasteur. Je suis plutôt venu vous consulter concernant la prophétie que la dame avait donné hier à la télé.

Il m’a regardé avec des yeux impassibles qui me demandaient de continuer.

_Moi et maman, nous discutions sur les derniers jours et l’apparition des faux prophètes. Nous voulions savoir si nous devons suivre ce qu’elle a dit.

_Mon fils, me répond le pasteur. Comment puis-je savoir ?

_Mais vous avez des dons de guérison ?

_Bien-sûr mon fils. Des dons de guérison.

_Alors ?

_Alors mon garçon, nous allons suivre ce que la dame a dit. D’ailleurs elle ne nous a pas demandé grand-chose. Juste quarante jours de prière. Cela ne peut que nous faire du bien.

La réponse du pasteur me semblait sage et logique. Mais cela n’empêchait pas que je doutais un peu des déclarations de la dame. Un peu déçu, j’ai seulement eu le temps de remercier le pasteur. J’ai pris ma bicyclette et j’ai filé à toute vitesse. J’ai entendu quelqu’un m’appelé. C’était Haydée. Mais j’étais pressé.

 

                                                                   *

Le président de la république, monsieur Jackmabram avait donné son consentement pour que tous les établissements d’enseignement de la république observent une trêve de quarante jours. Et tout autre établissement offrant des services non nécessaire à la survie devrait suivre cette même règle. Seulement les hôpitaux, les supermarchés et les institutions publiques seront ouverts. La police nationale sera dans la rue vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme si le pays était en état de siège afin de garantir la sécurité des églises. L'EDH a reçu de grandes sommes pour fournir l’électricité sans coupure durant toute la quarantaine, et quelques églises éloignées ont bénéficié de panneaux solaires. Tout se passait bien. Le président Jackmabram était devenu un saint aux yeux du clergé, mais un vrai imbécile pour la communauté internationale.

La plupart des maisons du territoire national serait vide pendant quarante jours. Et de nombreux lieux  sont transformés provisoirement en lieu de culte. Certaines rues sont même impraticables. Sur tout le territoire, des cris se font entendre. Ils étaient si fort qu’on pouvait les entendre_selon moi_jusqu'aux Bahamas. Tout se passait bien jusqu’à ce que… jusqu’à ce que la police vienne arrêter les prières. Nous étions au 29ème jour.

 

                                                                    *

Tout le monde était apeuré et ne pouvait pas comprendre le message diffusé dans les médias. Il était impossible que l’Europe, les États-Unis, le Canada, la Chine, le Japon soient disparus. Il n’y avait plus aucune trace de ces gens sur la planète. Ces territoires sont vides. Les rares personnes qui s’y trouvent sont des ressortissants. J’ai donc pris mon téléphone pour vérifier. C’était vrai. Il n’y a qu'Haïti qui soit encore habitée et quelques pays d’Afrique qui avaient observé la quarantaine. Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Cette question rôda dans ma tête, se fatigua puis s’endormit dans un coin de mon esprit.

Deux jours après cet événement, nous sommes assis, mon grand frère et moi, à discuter sur le sens de ces événements. Alors que nous discutions, un homme au visage maigre, en cravate, gilet, un soulier avec un bec pointu, bible à la main proclamait la délivrance d’Haïti. Il faisait des mouvements fermes et rapides avec la main qui contenait la bible.

« Repentez-vous ! Dieu nous a encore épargnés. En ce moment, plus de la moitié du monde est vide. Dieu les a supprimés de la surface de la terre par son feu majestueux. En ce moment ils sont entrain de brûler dans les flammes de l’enfer. Le diable est fâché contre nous en ce moment. Venez vous reposer sous les ailes d’amour du grand Jéhovah. Venez et acceptez Jésus comme votre sauveur personnel et vous accéderez à son royaume. »

Mon grand frère étouffa premièrement un rire, puis il donna libre cour à ce besoin naturel. Son rire était sarcastique et acerbe. Je le regarde d’un œil inquisiteur. Il tâtonna mon épaule et me dit avec raillerie.

« P'tit frère ! P’tit frère ! Ne soit pas fâché contre moi. »

Je le regarde avec l’œil d’un fauve pour bien lui signifier que je ne supporte pas qu’il se moque ainsi de la parole de Dieu. Après tout, la prophétie s’est réalisée.

_D’accord j’arrête. Mais petit frère, crois-tu vraiment que ces gens sont morts ?

_ Je ne sais pas frérot. Mais nos prières nous ont épargnés.

_Moi je m'obstine que Dieu n’a écouté aucune de vos prières. Dieu n’existe pas frère. C’est une invention de la raison humaine.

_Alors comment expliques-tu le fait qu’on soit encore vivant et les pays qui n’ont pas observé le jeûne sont vides ?

_Je ne sais pas frérot. Mais ce n’est pas Dieu. La nature nous réserve des choses. Ce n’est pas la première fois que des civilisations disparaissent du jour au lendemain.

J’étais songeur. Mon grand frère avait peut-être raison. Mais je ne voulais pas m’accommoder à ses raisonnements. Et entre-temps, Haydée traversait la prairie qui se trouvait en face de nous et ce dirigeait à notre direction. De ses belles dents blanches, elle me souriait.

_Kilè w ap plumen ti fanm sa ou menm ? me demande mon frère. Chita fè kaka. W ap regrèt lè w resi konnen plumen pa t janm peche.

Je ne me préoccupais plus de lui. Mes yeux étaient rivés sur Haydée. En ce moment précis, nous étions seuls au monde. Et c’était aussi un peu vrai littéralement.

 

                                                                *

Six mois après ce mystérieux événement, nous ne cherchions plus à comprendre ce qui s’était passé. La vie a repris son cours tranquillement et le reste du monde est toujours vide. Je suis chez le pasteur Simon qui ne donne plus, depuis un certain temps, son avis sur les événements. Je suis à l’arrière cour entrain de discuter avec Haydée. Nous nous amusons à jouer à question osée, réponse osée.

_Quelle est ta plus grande peur ? me demande Haydée.

_De perdre les gens que j’aime.

_ À toi maintenant.

_Crois-tu en Dieu ? lui demandai-je.

Haydée observa un silence qui me fit croire que je l’ai blessée avant de me répondre que non, elle n’y croit pas. Cette réponse me glaça le sang. Je soutiens son regard afin qu’elle me dit qu’elle joue. Mais elle était sérieuse.

_Sous le toit de mon père, nous n’avons pas le loisir de le clamer. Mais pour moi, Dieu est une farce. Je ne suis pas la fille pieuse que tu t’imagines que je suis. Je suis vierge. Mais comme Marie, la mère de Jésus.

Je n’arrivais pas encore à digérer ses aveux qu’elle s’approcha et perdit ses douces lèvres et sucrée sur les miennes. Alors qu’on s’embrassait, nous avons entendu une voix dans le ciel. Un instant nous avons cru que c’était celle d’un ange jusqu’à ce qu’elle s’identifia comme étant le président de l’ONU.

« Chers habitants de la terre, c’est depuis l’espace que je vous parle. Depuis Mars plus précisément. Cela fait 6 mois, selon la chronologie terrienne, que nous sommes parties. Si la prophétesse était une folle comme nous l’avions clamé, une terrible catastrophe menace vraiment la terre. Un centre nucléaire a fait exploser par hasard une bombe bactérienne en Asie. Son poison n’a besoin que d’une année pour atteindre tous les continents. Alors que cette femme propageait sa prophétie, nous travaillions sur comment quitter la planète. Cette bombe sèmera des gènes infectieux dans la population qui donnera une sensation de brûlure au cœur accompagnée de convulsions qui feront vomir du sang aux contaminés. Elle asséchera progressivement les océans et toutes les réserves d’eau de la planète et augmentera la chaleur du soleil qui pourra atteindre les 70 degrés. La nuit, la température sur toute la surface du globe pourra descendre jusqu’à moins 50 degrés… »

La voix déambulait encore tous les maux qui nous attendent quand Haydée s’est évanouie dans mes bras. Je regardais tout le monde autour de moi. Ils étaient interloqués. La phrase Dieu n’existe pas résonnait dans ma tête quand j’ai entendu de loin la voix de ma mère. J’ai regardé autour de moi avant de comprendre que ma mère n’était pas à mes côtés. C’est alors que je me suis réveillé. Les yeux larges et rivés sur ma mère.

« Mais quoi ? me demanda t-elle ? »

« J’ai fait un rêve, » lui dis-je

« Eh bien ? »

Je lui ai exposé tout ce que j’ai vu dans mon rêve et tout ce que j’ai entendu. Elle restait impassible et ne parlait que pour confirmer lorsque je lui demandais si elle comprenait. Lorsque j’ai fini de lui conter mon rêve, ses yeux étaient grand ouverts en face de moi et envoyaient des SOS. Et après une bonne minute, elle sortit enfin de son mutisme.

_J’ai fait le même rêve.

À ce moment, le temps s’est arrêté.




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