Car il faut comprendre certaines choses dans le jeu
d’amour : c’est un jeu qui se
déclare en silence, d’un regard, d’un parfum, d’une parole empreinte
d’ambiguïté, d’un geste et même parfois à l’insu de l’une des parties engagées.
Si mes ancêtres ont découvert le feu, dans ce salon où j’ai rencontré Hélène,
j’ai compris qu’on pouvait jouer avec. Dans le jeu de la séduction, il y a
certaines règles qu’il ne faut pas enfreindre. Certaines sont particulières,
d’autres sont universelles. Les femmes aiment les garçons d’expérience, ceux
qui sont sûrs d’eux et qui ont une pointe de perversité camouflé sous leur
bonne manière. Ajouter à cela, lorsqu’il faut séduire dans des salons,
certaines connaissances comme la peinture, la littérature, le cinéma, etc.
peuvent être un bon atout. Mais la chose qu’il faut surtout savoir et qu’il ne
faut jamais oublier, c’est que les femmes aiment être bien traitées. Pourtant,
dans un premier temps, il faut être indifférent face à la femme qu’on tente de
séduire tout en la faisant imaginer par des gestes – qui ne semblent pas lui
être destinés – que si elle sortait avec toi, elle serait la plus choyée des
femmes.
Alors la semaine suivante, je suis retourné au salon
accompagné de A… L'hétaïre par excellence que la terre puisse porter, et
pourtant si dame, si instruite et si maniérée. Lorsque je franchis à nouveau le
seuil du salon en compagnie de A..., j'eus l'impression d'être un conquérant
foulant des terres vierges. Cette créature à la sensualité dévorante, tout en
étant une parfaite dame de société, représentait l'alliance ultime de mes
aspirations. En elle se conjuguaient le raffinement de l'esprit et les délices
de la chair, tel un philtre enivrant.
Nos regards se croisèrent presque immédiatement, celui
d'Hélène et le mien, telles deux lames d'acier affûtées prêtes à s'affronter.
Un sourire à peine esquissé vint étirer ses lèvres d'un rose délicat, signe
d'un défi tacitement lancé. J'accueillis ce muet appel à la joute avec un
enthousiasme que je ne cherchai guère à dissimuler.
La soirée ne fut dès lors qu'une succession de passes
d'armes verbales et visuelles, où nos esprits valsaient sur les rythmes d'une
musique secrète. Chaque mot pesé, chaque geste étudié n'avait d'autre but que
d'aiguiser les sens de l'adversaire, de le pousser dans ses derniers
retranchements. Hélène se montrait une joueuse redoutable, parant chacune de
mes offensives avec une grâce désarmante.
Lorsque vint l'heure des séparations, nos yeux
restèrent ancrés quelques instants de plus qu'il n'était convenu. Une promesse
y flottait, aussi éphémère qu'un souffle, aussi brûlante que la lave en fusion.
Le jeu ne faisait que commencer...
*
Le monde a peur du silence parce qu’on ne lui a jamais
appris la vertu de celui-ci. L’humain ne peut ne pas communiquer. Même en
faisant silence. Et dans certaines situations, c’est en se taisant qu’on arrive
le mieux à communiquer ses aspirations le plus clairement. Hélène était maître
dans ce domaine alors que moi, je croyais dans la puissance des mots. En
communiquant par le silence, je jouais sur son propre terrain ; et ce jeu
dont j’étais le maître jusqu’à présent se transformait petit à petit en son jeu
à elle.
Les jours qui suivirent ne furent que tourments et
affres secrètes. Nos esprits ne cessaient de s'affronter sur les champs de
bataille de l'imaginaire, rejoignant ce défi de tous les instants. Chaque geste
anodin, chaque parole échangée par ouï-dire n'étaient que pions soigneusement
disposés sur l'échiquier de notre joute enflammée.
Lorsque je retrouvai Hélène au prochain salon, un
insondable sourire étirait ses lèvres de rubis. Une lueur indéchiffrable
dansait au fond de son regard de braise, semblant me défier d'en percer le
mystère. D'un simple croisement de nos prunelles, elle avait ravivé tous les
brasiers de mon désir, avec quelle maîtrise consommée !
Toute la soirée ne fut alors qu'une succession
d'escarmouches feutrées mais brûlantes. Nos esprits se livrèrent une guerre
d'usure, multipliant les attaques sournoisement déguisées en amabilités polies.
Un mot de trop appuyé ici, dans une conversation en groupe, une œillade de trop
intense là, chaque parade n'avait d'autre but que de dissimuler nos véritables
intentions.
Jusqu'à ce que, dans un aparté noyé dans le tumulte
des conversations, la maîtresse des lieu se penche vers moi avec une grâce
étudiée pour me rappeler ma participation au salon ce soir. Son regard se fit
plus appuyé tandis que ses derniers mots semblaient chavirer dans les abysses
de la suggestion. Hélène, quelques pas derrière, me dévisageait avec une
intensité à peine voilée, semblant me jauger, m'éprouver.
Relevant le défi avec une assurance étudiée, je me
levai et déployai le précieux parchemin que j'avais soigneusement choisi pour
l'occasion. D'une voix grave où perçait une ardeur à peine contenue, je
déclamai :
Ce soir,
Lorsque Séléné en tout son éclat
Ceintra de rayons ses diamants
errants
Je dévoilerai le mystère du cœur délicat
Que seul ton regard et tes manières
éloquents traduisaient jusqu'alors
Ces prunelles où se meuvent d'insondables
provocations
Rendront enfin leurs arcanes à ma tendre
inquisition
Tes yeux de jais capituleront sous mes
instantes incitations
Abdiquant aux impatiences de mes brûlantes
intentions
À la danse lunaire des flammes
frémissantes
Tes charmes se désigneront par
énigmatiques intermittences
En une giration que dicteront mes doigts
énamourés
Alors la rose pourpre de ta bouche me
confiera
Le secret de nos dédales enfin parcourus
Ce soir, la dernière manche
s'engagera
Nul désir ne pourra s'y dérober...
Je quittai l’estrade tout fier de briser si
esthétiquement l’épais silence qui pesait sur nos conversations depuis tout ce
temps. Depuis le peu de temps que je fréquente ce salon, j’ai toujours décliné
les invitations à participer dans ces soirées, mais ce soir, il me fallait à
tout prix faire taire ce silence qui la rendait maître du jeu. Un tonnerre
d'applaudissements accueillit ma dernière strophe, rompant l'insoutenable
tension qui avait imprégné l'atmosphère. Je me tournai une dernière fois vers
Hélène, croisant son regard brûlant où brasillait une sourde révolte. Elle
avait parfaitement saisi la portée de mes vers, cette invitation à poursuivre
notre duel sur d'autres champs clos.
D'un simple haussement de sourcils, presque
imperceptible, elle accepta le défi avec une superbe indifférence.
L'affrontement était désormais pleinement relancé, mais cette fois au diapason
de mes règles. Nos âmes n'étaient plus que deux lames de damas promises à un
choc titanesque.
Les convives ne tardèrent pas à se disperser, vaincus par les brumes nocturnes. Bientôt, il ne resta plus dans le salon que nos deux silhouettes, telles des statues de chair prêtes à revivre à la lueur des candélabres. Hélène détourna la première son regard de braise, une moue sur les lèvres. "Votre talent de belles-lettres semble à la hauteur de votre incontinence verbale, mon cher..."
Je savourai l'âpreté de sa pique avec une feinte
contrition. "De grâce, pardonnez à ce pauvre écervelé les accès de son
inspiration. J'ose espérer qu'elle vous aura distrayée..."
"Distraire n'est pas le mot que
j'emploierais", rétorqua-t-elle d'une voix rendue rauque par le désir à
peine contenu.
Lentement, avec une grâce calculée, elle laissa errer
son regard le long des courbes suggestives de son corps. "J'attendrai avec
une.... impatience toute particulière la prochaine manche de notre joute pour
répondre à vos...provocations."
Je m'approchai d'elle avec une lenteur étudiée,
savourant par avance l'affrontement à venir. Ses narines frémirent, aspirant
mon effluve avec une sorte de faim défiant toute pudeur.
"Soyez assurée que j'y mettrai tout
mon...art", murmurai-je en détachant ces derniers mots comme une promesse
indécente.
De la pointe d'un doigt audacieux, j'effleurai la
naissance de sa gorge, traçant une ligne incandescente sur sa peau nacrée.
Hélène frissonna, ses paupières s'abaissant à demi dans un abandon feint.
"Votre art ne sera rien...comparé à mes talents
insoupçonnés", souffla-t-elle en une provocation des plus outrancières.
Un sourire étira mes lèvres devant tant de superbe
défiance. D'une main un peu rude, j'attrapai son menton, forçant son regard à
croiser le mien avec une intensité volcanique.
"Nous verrons bien qui de nous deux
devra...capituler, belle amazone", la défiai-je avec une ardeur à peine
contenue.
Ses lèvres s'entrouvrirent comme pour mieux humer le
parfum de ma menace, avant de s'étirer en un sourire de guerrière prête à en
découdre.
"Que le meilleur...ou la meilleure remporte
alors. Je vous attendrai sur le pré pour notre prochaine escarmouche",
lança-t-elle d'une voix sourde, pleine de promesses lascives.
Sur ces mots, elle se dégagea de mon étreinte d'un
mouvement plein de grâce, sa robe subtilement ajustée frôlant mon corps avec
une provocante indécence. Tandis qu'elle se dirigeait vers la sortie d'une
démarche chaloupée, je contemplai sa silhouette altière avec un désir teinté
d'une sourde inquiétude. Cette femme était damnablement forte...et la victoire
ne serait pas aisée.
*
Je restai un long moment immobile au milieu du salon
désert, me repaissant des dernières bribes de notre joute verbale. L'air sembla
soudain s'épaissir, chargé de ces relents musqués qui trahissent les batailles
de l'amour. Mon corps tout entier tressaillait encore du souvenir de nos
effleurements à peine voilés.
D'un geste presque inconscient, mes doigts vinrent
effleurer la naissance de mon cou, là où la caresse d'Hélène avait laissé une
brûlure indélébile. Un grondement rauque naquit au creux de ma gorge tandis que
je me remémorais son regard de défi, ses lèvres entrouvertes comme une fleur
offrande...
Elle avait raison sur un point, je devais bien
l'admettre. Si je voulais remporter notre prochaine manche et confirmer ma
supériorité, il me faudrait mettre en œuvre des talents insoupçonnés. Hélène
était une joueuse experte, préparée à toutes les feintes et ruses. Vaincre son
empire sur elle-même serait un défi digne des plus grands conquérants.
Inconsciemment, je me dirigeai vers un imposant miroir
en pied trônant contre un des panneaux de boiseries. Mon reflet me renvoya
l'image d'un homme au regard fiévreux, au port altier de celui qui se sait
l'égal des dieux. Un sourire étira mes lèvres devant ce masque de prédateur.
"Prépare-toi, sirène tentatrice..."
murmurai-je à l'adresse de mon double de verre. "La partie n'est pas
encore gagnée..."
D'un geste vif, j'arrachai ma veste, défaisant d'une
main fébrile les lacs de ma chemise. Torse nu, je contemplai mon buste avec une
satisfaction féroce. Mes muscles se dessinaient avec une vigueur de jeune
athlète antique, promesse d'une vigueur que nulle amazone ne saurait défier
bien longtemps.
Oui, Hélène avait raison, le meilleur... ou plutôt la
meilleure remporterait ce duel sans merci. Mais elle se leurrait si elle
espérait en sortir vainqueur. J'userais de tous mes talents, déploierais toutes
mes ruses pour la faire céder. Aucune de ses défenses ne résisterait à l'assaut
de ma volonté.
"À nous deux, Hélène..." soufflai-je avec
une lueur de défi au fond des prunelles.
"Préparez-vous à capituler..."
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