Aujourd'hui, Journée internationale des femmes et des filles de science, j'aimerais vous faire découvrir l'intrigant parcours de 3 sœurs haïtiennes du vingtième siècle que j'aime appeler "trio infernal" ou "les sœurs prodiges": Suzanne Comhaire-Sylvain, Madeleine Sylvain-Bouchereau et Yvonne Sylvain. Respectivement Anthropologue et linguiste, Sociologue, avocate, éducatrice et féministe, Médecin gynéco-obstétricienne. Filles d'Eugénie Malbranche et de Georges Sylvain, célèbre écrivain et chef de file de la génération de la ronde, leur réputation ne s'est pas juste limitée à celui de leur paternel.
Suzanne Comhaire-Sylvain.
Née le 6 novembre 1898 à Port-au-Prince, elle s'éteignit d'un accident de la route en 1975 au Nigéria à l'âge de 76 ans. Elle est la filles aînée et la première enfant d'une fratrie de 7 enfants. Anthropologue africaniste et Linguiste, elle est une pionnière des études de la langue et l'oraliture du créole haïtien. Sa thèse de doctorat, Les contes haïtiens, à la Sorbonne en 1936 apporta une importante contribution à la linguistique. Mais c'est son livre, Le créole haïtien: morphologie et syntaxe, considéré aux côtés de la Philologie créole de Jules Faine comme l'une des deux premières études "scientifiques" publiées sur le créole haïtien publiées par des Haïtiens, qui allait marquer la linguistique et mettra les créoles dans les rangs de langues à par entière qui doivent être étudier par les linguistes. La créolistique étant la branche de la linguistique s'intéressant aux langues créoles. Elle sera saluée par Carter Godwin Woodson (1937). Selon lui, "elle n'a pas seulement donné une nouvelle image du langage des Haïtiens, mais des tresors littéraires dont cette langue est la clé." Dès 1925, Suzanne attira l'attention du public en créant un scandale sans précédent en devenant la première femme à travailler dans un bureau (à Damien, 1925). Sous la présidence de Dumarsais Estimé, on la retrouve Inspectrice des Écoles, elle participe tour à tour à la fondation et la direction de l'École des lettres. Elle devient aussi membre du corps professoral de l'Institut d'Éthnologie fondée par Jean Price Mars en 1941. Elle a aussi été très présente en Afrique. Elle a publié plusieurs œuvres sur ce continent dont « Femmes de Kinshasa hier et aujourd’hui »(1968), où elle dresse le portrait des femmes de Kinshasa (capitale de la République Démocratique du Congo), leur quotidien, leurs loisirs et leurs modes de fonctionnement. Ses travaux sur le berceaux de l'humanité lui ont valu le poste d'experte de l'Afrique à l'ONU pendant 8 ans. Elle a aussi eu des distinctions internationales dont le prix de l'Alliance Française et la Médaille de l'Académie Française.
Madeleine Sylvain Bouchereau (1903-1970)
Première femme haïtienne docteure en sociologie. Brillante femme, elle a étudier en Haïti, à Porto-Rico et aux États-Unis. Licenciée en droit à la faculté de droit de Port-au-Prince, elle a obtenu, sur concours, une bourse offerte par l'association internationale des femmes universitaires qui l'a emmenée à des études en éducation et à un doctorat en sociologie au Bryn Mawr College aux États-Unis. Comme sa sœur Suzanne, elle a été professeure à l'Institution d'Ethnologie, mais aussi à l'École Nationale d'Agriculture et à l'université de Fisk. Sa thèse de doctorat, "Haïti et ses femmes: une études d'évolution culturelle", soutenue en 1941 et publiée en 1957 par Les Presses Libres en Haïti est considérée comme les premières réflexions théoriques sur les parcours des femmes dans l'histoire d'Haïti. Le 3 mars 1934, elle participa à la fondation de "la ligue féminine d'action sociale" dont le but était de promouvoir la pensée féminine, faire valoir les droits élémentaires de la femme comme le droit à l'éducation, faire valoir son égalité politique et civile tout en la rendant consciente de ses devoirs sociaux. Ses luttes pro-féministes lui ont poussé à faire des propositions en faveur d'avancées exceptionnellement significatives dans le code pénal et civil haïtiens qui faisaient de la femme une incapable et une mineure soumise à son mari. La constitution a été contrainte de confimer la jouissance des droits civils et politiques des femmes haïtiennes. Ainsi, aux élections de 1957, elle a été en lice aux élections sénatoriales. Elle s'est aussi distinguée dans le leadership international. Elle a été vice-présidente de la Ligue internationale des femmes avocates. En 1937, elle a été déléguée à la 3e conférence Inter-Américaine sur l’éducation. En 1944, elle a été chargée par les Nations-Unies de l’organisation des services sociaux dans plusieurs camps de prisonniers polonais déportés en Allemagne. Au moment où l’Assemblée générale des Nations-Unies adoptait le premier document juridique international affirmant l’égalité des droits politiques de la femme, Madeleine siégeait à sa Commission du statut de la femme. De 1952 à 1956, elle a été successivement membre du comité pour la planification des cours d’été de la Ligue internationale des Femmes pour la paix et la liberté et co-titulaire des cours de Copenhague et de Hambourg de cette Ligue.
Yvonne Sylvain (28 juin 1905-3 octobre 1989)
Première femme médecin d'Haïti, jettons un œil dans la carrière de cette grande dame qui s'est imposée dans un domaine considéré_jusqu'à ce qu'elle le démentit_comme un métier d'homme. Elle a d'abord décroché un diplôme à l'École Normale Supérieure (ENS) de l'Université d'État d'Haït (UEH). Aussi amoureuse de l'art, elle a exploré pendant un moment l'art haïtien. Animant entre autre des émissions à la radio chantant la culture haïtienne. Mais à ses 28 ans, après la mort de sa mère, elle intègre la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l'UEH comme étant la première femme ayant intégré cette faculté. Mais elle assure avec brio ses 5 années d'études avant son obtention d'une bourse d'études pour aller se spécialiser en obstétrique et en gynécologie aux États-Unis. Après ses études, elle a travaillé à l'hôpital de l'Université d'État d'Haït et se révèle excellente dans le traitement de l'infertilité. À la montée du régime des Duvalier, elle a dû partir exercer à l'étranger où elle a été déléguée en santé publique, en santé génésique plus précisément pour l'organisation mondiale de la santé (OMS). Elle a ensuite travaillé dans de nombreux pays d'Afrique (dont le Sénégal) et en son propre compte comme clinicienne à Costa-Rica et à Dakar.
La réputation des sœurs Sylvain ne s'est pas arrêtée à celle de leur père, le célèbre écrivain Georges Sylvain. Dans une époque où la femme était associée à l'allaitement et aux tâches ménagères, ses trois femmes se sont distinguées et deviennent ainsi, toutes les trois, pionnières dans leurs domaines. Ainsi, ont-elles laissé de bels exemples à la longue lignée de générations de femmes et de filles qui les succèdent.
Je me demande si ce genre existe-il encore en Haïti !
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