Une autre idée reçue et fort stéréotypée sur le créole est de dire que cette langue n'a pas de grammaire. Cette idée est issue de la comparaison entre la grammaire française qu'on apprend à l'école et le créole, dont on nous apprend malheureusement pas le fonctionnement grammatical. Ce qui fait que certains concluent que l'absence d'ouvrages de grammaire pour le créole signifie qu'il n'a pas de grammaire. Vraiment ?
Pour élucider la chose, je dois vous dire directement qu'il n'y a aucune langue qui soit dépourvue de grammaire. C'est un fait inhérent à toutes les langues. Mais malgré cela, on peut encore se demander: alors pourquoi on ne connait pas la grammaire du créole ? Mais on connaît la grammaire créole ! On ne sait simplement pas si on le connaît. Au milieu des années 50, le linguiste Juif-Américain Noam Chomsky a théorisé que chaque langue a une ensemble de règles internes et inhérentes que l'enfant acquiert lorsqu'il apprend à parler. C'est la grammaire de la langue. Cet acquis que font tous les enfants concernant le fonctionnement de leur langue sans le savoir relève de la compétence. C'est cette compétence qui lui permet de reconnaître les constructions fautives de sa langue et celles qui n'en font pas partie. Et tout cela, il le connait sans même avoir mis les pieds à l'école. Une fois la compétence bien installée, la performance, qui est la mise en exécution de la compétence, pourra alors se manifester. Ainsi, en quelques mois seulement l'enfant peut acquérir la langue de son entourage. Il lui suffit d'abord de comprendre les règles (ce qui relève de la compétence) et de les mettre en exécution lorsqu'il parle (c'est la performance).
Sur la base de cette lumière, Chomsky va théoriser plus tard que la grammaire est de base la même dans toutes les langues(La théorie de la grammaire universelle). Ce qui veut dire qu'il y a les mêmes principes qui les régissent. Ce qui les diffèrent, ce sont les paramètres. Qu'est-ce que cela veut dire? Cela veut dire que toutes les langues sont régis par un nombre de caractéristiques que les linguistes nomment "les universaux du langage" qui sont présentes dans toutes les langues. Ces universaux sont la phonologie, la syntaxe, la morphologie, la sémantique, le lexique. Ces ingrédients de base vont être mis en exécution de manière différente dans chaque langue, ce qui fera que les grammaires de chacun d'elles se distinguent. C'est la fameuse théorie des principes et des paramètres de Chomsky.
On vient donc de voir que l'idée même d'une langue sans grammaire est aberrante. Et il faut se souvenir que l'absence d'ouvrage de grammaire dans une langue ne justifie pas que cette langue est sans grammaire. Mais si on pense comme cela, ce n'est pas anodin. Le système scolaire fait penser au gens que c'est seulement lorsqu'ils sont venus à l'école qu'ils découvrent la grammaire de leur langue. Mais c'est faux. La grammaire d'une langue est inscrite dans la tête de chaque locuteur avant même qu'on apprenne à parler. La grammaire que nous apprenons à l'école c'est la grammaire normative. Celle qui établit les normes de bien parler souvent baser sur une variété de la langue (bien souvent la manière de parler des classes aisées) et qui l'enseigne au reste de la population. Cette grammaire à pour mérite de ne pas refléter la langue dans son véritable fonctionnement.
Pendant que vous y êtes, faisons une petite exercice de grammaire comparée (Entre le créole et le français)
Français : La petite fille.
Créole : Ti fi a.
Commençons par relever ce qu'il y a de plus élémentaire dans les deux syntagmes qu'on peut aisément appelé phrase nominale:
1. Le déterminant (la) du français est antéposé par rapport à l'adjectif (petite), alors que le déterminant (a) du créole se retrouve au bout du syntagme et est postposé par rapport au nom (fi). Mais ce sont les mêmes ingrédients qui sont présents dans les deux syntagme : le déterminant ( la, a), l'adjectif (petite, ti) et le nom (fille, fi). Les deux langues ont une syntaxe (une manière d'arranger les mots pour construire des énoncés) qui leur est propre.
Maintenant voyons ce que les deux syntagmes présentent en termes d'économie :
2. Dans le syntagme français, le féminin est manifesté dans chacune des unités de la phrase: le déterminant (la), l'adjectif (petit) et le nom (fille). En créole, le féminin n'est manifesté que dans le nom (fi). Le créole a décidé que puisque l'unité la plus importante (la tête du syntagme, l'unité porteur de sens) de la phrase est déjà féminin, il n'y a aucune raison pour que les autres le soient aussi, puisqu'à elle seule, le sens du féminin est véhiculé.
Mais dans les deux cas, l'enfant ayant acquis n'importe laquelle des deux langue n'aura aucun problème d'organiser les mots selon les règles de chacune. Cela relève de sa compétence en tant que locuteur d'appréhender la grammaire de sa langue même sans avoir mis les pieds à l'école.
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