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Histoires tristes et rigolotes, vécues ou racontées par mes professeurs

 




Le doigt sur la bouche


Cette année de classe sera dure pour Ti Pierre. Comme toutes les précédentes d’ailleurs. Ti Pierre est un enfant intelligent qui n’aime pas l’école. Mais comme tous les enfants, il meurt de voir ses camarades de classe à cette ouverture de classe. Ti Jean est son meilleur ami. Quand ils sont chez eux, ils jouent souvent aux billes tout en dégustant de succulents fruits disponibles dans la saison. Aujourd’hui ils sont ravis de revoir leurs condisciples. Sur la cour c’est une cohue. « Hé Gérard, kòman w ou ye, » par-ci, « Ti Darline kot Marise, » par-là. C’est la joie.

Sous le manguier est stationné le maître qui observe avec joie la rentrée. Ti Pierre le salue avec vitalité. Et passa rapidement.


_Bonjou mèt.


Le maître l’arrêta brusquement.


_Hé ! Exprime-toi.


L’enfant resta muet face à son maître. Il comprend qu’« Exprime-toi » c’est lui demander de parler français. Intimidé et secoué, il ne sait quoi dire à son maître qui continue de le traiter de toutes sortes de choses qui lui fait croire qu’il est sot.


_Ici c’est le français qu’on parle. Nous ne sommes pas dans un champs de banane. Si tu ne peux parler français alors il vaut mieux aller habiter avec les gorilles, car l’école c’est pour les enfants. Des gens qui peuvent parler.


Ti Pierre n’ose rien lui dire. Il sue à grosses gouttes et des larmes viennent humecter ses joues et mouiller son uniforme. 


_Retire-toi, lui dit le maître.


Ti Pierre se retire tristement des larmes sur ses joues. La cloche sonne et la directrice demande aux élèves de faire le rang. La dévotion finie, les enseignants font avancer leurs élèves jusqu’à leur classe.

Sur une petite feuille carrée posée sur le mur de la classe, Ti Pierre lit l’inscription qui suit :

« Celui qui parle créole sera considéré comme le gorille de la classe. »

Ti Pierre repense à ce symbole qu’on donne aux élèves qui parlent créole. Le dernier élève qui recevra le symbole à la fin de la journée le portera au maître qui lui remerciera avec des coups de fouet du tamarinier qui est sur la cour.

Ti Pierre prend donc la décision d’avoir toujours le doigt sur la bouche ; et de parler que si on l’interroge. Intelligent ou pas, jamais ses maîtres ne le sauront.

_________________


La prostituée du coin


À Port-au-Prince, à Thor, sur la route nationale # 2, en face de l’Unibank de Carrefour, c’est la qu’habite Amandia, une ancienne prostituée exerçant à « Le Créole, » un bordel de Thor 69. 


Dans cette cour-au numéro 19-où habite cette dame, les gens se méfient. Amandia ne se soucie guère de ce qu’ils pensent d’elle. Belle, élégante, une bouche excitante et un corps lascif, ses fesses exhibées dans un pantalon sans fouk ferait bander le plus nobles des nègres mariés, prêtres… 


En parlant des nègres, ils font parfois la queue devant sa “pyès kay.” Je me souviens de quelques-uns. L’avocat au gros ventre avec ses verres posées sur la pointe du nez, était toujours en veste, sa valise en bandoulière et une tonne de documents sur le bras. Dans son annulaire gauche, il y a une bague ronde en or. Il y a ensuite le banquier qui vient les mardis, jeudis, samedis. Il travaille à l’Unibank juste en face de la cour où habite la prostituée. Dans sa Ford blanche, vitres fumées, il gare sa voiture un peu plus haut devant une « bank borlette. » Sa chemise est toujours blanche comme des dents de zombi. C’est un haut monsieur au ventre plat avec des tablettes, la poitrine et les biceps bien construits. Outre ses travaux de banquier, il va sûrement au gym. Il y a aussi ce prêtre qui vient chaque fois qu’il est de passage à Port-au-Prince. Il est de Maniche. J’ai su qu’il était prêtre parce qu’un jour il avait oublié d’ôter sa bague de sacrement. Parmi tous les nègres qui la visitait, le plus visible était un blanc français qui amusait la galerie avec sa manière de parler le créole. 


Curieux mais pas tripòt, je m’amusais à écouter ses conversations. Dans ses manières de s’habiller jusqu’à sa façon de parler, Amandia était une limena clarifiée et sans gêne. Un jour, parlant avec Gardane, une limena de second rang placée avec un Capois, elle lâche :


_Pitit ! Prèt la di m li pa prale nan relation sextuelle avè m jodi a.


_Poukoi ? demande Gardane.


_L ap mennen m nan cineuma.


_Heheyy. E célulè a, li ba ou l déjà ?


_Pa t’encore. Men poze, l ap ban mwen l kantmèm. 


Un autre jour alors que je passais par-là, elle discutait avec l’avocat qui semblerait avait des retards sur le paiement mensuel, mais comme toute vraisemblance voulait quand même quelques coups de reins.


_Gade m byen pou w wè ! Gade m anlè, gade m anba. M s’on fanm tout nèg dèyè « cotiser. » 


En fait Amandia était une femme “zuzu pointue.” Souvent elle parle créole, mais elle s’exprime souvent en français. Surtout en compagnie de ses clients qui doivent négocier des affaires en français au téléphone. Amandia n’est pas obligée, puisque ses clients s’intéressent plus à son cul qu’à son verbe. Mais le français est sa langue de prédilection pour se montrer à la hauteur. 


Un autre jour, parlant avec Gardane :


_Pitit ! Kote m ka pèmèt mwen pale nenpòt ki jan ak avoka a ? Tout lasent jounen mouche ap parler franseur nan yon trubinal. 


Elles ricanent.


_Pitit ! Wòb ou pa manke pa bèl ! lui dit Gardane


_Avoka a wi pitit ! M g’on wouj ak yon bleu parle.


_Woy ! Gadàn ki lè l ye la ?


_In’heure !


_Wouy ! Ban m al benyen. Nèg bank lan ap vini a deux zè. 


Prenant son bain juste à côté de sa maison, elle chante une chansonnette française qu’aime écouter le banquier durant leur partie de jambes en l’air.


« In pé spécial, elle est sélibatè, lé vizaj parl, les chéveux ann aryè, et j’aime ça. Elle sé dessine sous des jup éfendi, moi j’imagine des histoi défendi, c’est comme ça… »


C’est comme ça tous les jours qu’elle reçoit le banquier. 


________


Bagarre à Le Créole



Nous allons passer beaucoup de temps au quartier de Thor 69 qui, je vous l’assure, n’a jamais chômé en ce qui à trait aux chamailles, histoires drôles, etc. 


La nuit c’est pour les grandes personnes. Les enfants n’ont pas le droit de sortir. Dès 6 heures du soir, comme le veut grand-mère, tous les enfants sont déjà rentrés à attendre maman et papa qui rentrent ordinairement à 8 heures du soir. 


J’ai déjà eu l’occasion d’être dans la rue après 6 heures du soir avec mes parents ou un de mes frères et sœurs aînés qui vont souvent acheter des fritay tout près de Le Créole, un établissement de prostitution. Les filles là-bas sont belles. J’étais petit, mais je pouvais quand-même apprécier la beauté des filles. 


De la cour qui m’a vu grandir_en face de l’Unibank de Carrefour_Le Créole n’est pas trop loin. En sortant de chez moi, si je prends la direction du Portail-Léogâne, je traverse quelques marchands de glace, l’ancienne usine de glace, la première marchande de fritay, puis la seconde. Juste après la seconde c’est Le Créole peint en vert et les filles aussi belles que les anges campées devant. 


Nous achetons toujours chez la première marchande de fritay. Pourquoi ? Je ne sais pas. J’ai été peut-être influencé par mes frères et sœurs. Mais ce que j’appréciais chez cette femme noire aux dents blanches c’était son sourire et ses fesses non-négligeables. Ah oui ! J’aime les femmes byen kanpe.  Cette femme s’appelait Black. Comme la couleur de sa peau. Elle savait ce que j’aimais. Elle préparait toujours mes plats à ma manière. 


Un jour, alors que nous étions tous couchés, nous avons entendu une bagarre à Le Créole. C’en était une comme toutes les autres. Donc cela ne nous effrayait pas. Mais à un moment le bruit devenait de plus en plus sonore. Et les gens du quartier faisaient appel à une vieille du quartier gaie et connue. « Manmita, Manmita, » criaient-ils. 


_Sa k fout genyen ? M ap dòmi dòmi mwen, y ap vin deranje mwen ! 


_Manmita ! C’est ton fils. 


_Sa l genyen fout ? 


_Men y ap bat li Le Créole la. 


C’est une histoire de plus de Kaka kleren qui s’est fait chiper son portefeuille par les bouzen. Les bouzen l’exigent de payer tout de même et le menace avec un couteau. Le brave riposte en les accusant d’avoir volé son portefeuille. Les gens essayent de le tempérer, mais rien n’y fait. 


_Bouzen yo pran bous mwen. 


Il enchaîne. 


_M pa ko voye ! M pa ko voye ! 


Il se plaint de ne pas avoir encore éjaculé (Voye). Mais chez nous c’est carrément insolent de faire référence à l’éjaculation en créole. 


Entre-temps, Manmita, sa mère, est venue pour l’emmener chez lui. Dans la foule il crie : « M pa ko voye. » Sa mère lui est apparue pour lui demander de rentrer. Toujours insatisfait de ne pas avoir eu le temps d’éjaculer, il se plaint toujours. 


Peut-être obligé de rentrer avec sa maman, dans un sentiment de résignation, et sans doute pour ne pas choquer sa mère, il exprime sa protestation au moyen d’une phrase en français à peine audible. 


_Donne-moi ma bourse. Je vais pas payer. Je n’ai pas encore envoyé. 

_____________


Dans un tap-tap



18 heures 06, Camp-Perrin, Haïti



 Au bord du canal d’Avezac, Tiby se dessine en grand plan en face de moi. Chaîne de montagne déserte, garnie quand-même de quelques arbres placés de part et d’autre. La ravine sillonne son lit calmement. Un mélange de douceur et de tendresse… Elle prend son temps. Sa course est interminable et routinière. Elle le sait déjà. Et pis pourquoi se presser quand on sait déjà qu’on court à sa perte ? Son allure, sa taille, son débit et sa fierté ébahissent encore les touristes. Mais que savent-ils de cette jolie dame meurtrie par ses fils au fil des ans ? Elle sourit encore. Combien de peine arrive-t-elle à dissimuler ? Elle continue simplement sa course en courbant de temps en temps quelques gabions sur son passage. Et puis qu’elle bonne mère est-elle ! Son lait est encore offert à ses fils qui n’arrêtent pas_par pure ingratitude_de mordre ses tétons.



Son lit doit être fort bien inconfortable ! Un camion jaune est garé depuis des heures… il attend à être rempli…de sable. Quel sable ? Il paraît que c’est le plus bon sable de toute la Caraïbe. À chaque fois qu’elle fait son entrée, elle apporte du sable à ses enfants. Sa yon manman genyen se pa sa l bay pitit li, n’est-ce pas ? C’est ma grand-mère qui me l’a appris. Mais que vaut le travail d’une mère quand ses enfants restent attachés au pan de sa robe toute leur vie ? Que vaut son travail quand elle doit les allaiter jour et nuit éternellement ? J’en ai vu des mère infatigables comme la Ravine du Sud.



Non loin de ce panorama ; juste à quelques piètres mètres de moi… Que veut-il ce cabrit ? Pourquoi n’arrête t-il pas de bêler ?

_As-tu entendu parler de ce qui s’est passé au village de Dieu petit cabri ? Quel Dieu je me demande d’ailleurs !

_(Bêlement)

_Pardon ! J’ai oublié que Dieu ne t’a pas fait don de parole. Mais tu sais, nous aussi il ne nous a pas fait don d’humanité.

_...

_Pourquoi tu me regardes petit cabri ? Pourquoi tu es triste ? Je vois. Tu ne peux brouter de l’herbe frais vu qu’il n’y en a pas. Mais nous aussi nous sommes attachés.

_(Bêlement)

_Ah je m’en doutais. Tu veux savoir pourquoi ? Parce que nous avons confondu aimer avec posséder.

Mais dis-moi. As-tu entendu parler de ce qui s’est passer au village de Dieu ?

_...

_Pas grave, je peux t’expliquer. Il y a quelques jours, à ce village, cinq policiers ont été tués et arrachés par le peuple. Hier encore deux hommes parlaient de cela dans un bus.







_Rage, colère… 

_Mais pourquoi t’énerves-tu ?

_On devrait brûler le village.

_Haïti est fondée sur la cendre. Regarde où elle en est.

La conversation plongea dans un grand silence. L’homme qui devrait répondre rougit des yeux qu’on aurait dit qu’il eut reçu un coup de poing en plein œil. Il rongea ses lèvres inférieures, serra ses poings et s’assit plus adroitement sur son siège.

_Au village de Dieu il n’y a que des ordures. Et si ce n’est pour éviter que l’odeur que dégageront les corps de ces « kaka » dérange autrui, on devrait les brûler…vif.

_As-tu déjà lu la déclaration universelle des droits de l’homme ?

_Mais de quel homme parles-tu ? Des sans foi ni loi du village ?

_Ils ont des droits.

_Hmm !

_Ils n’ont eu même pas les préliminaires, les bases. Le droit à la nourriture, au logement, à la sécurité et à l’éducation… j’ai été élevé dans un ghetto.

_C’est ce qui leur donne le droit de tuer.

_Ils se sont défendus !

L’homme qui devrait répondre se baissa la tête comme pour réfléchir un moment. Il compatit ? Ses grands yeux s’éclaircissent, son point se desserre.

_Se défendre ?

_Oui !

_Évelyne Sincère… Appelles-tu aussi cela se défendre ? Je te rappelle que tu parles de civils armés. Je te rappelle que tu parles d’une masses armés qui vit dans le ghetto et qui fait du mal au malheureux, aux fils de « Sò Yèt », aux sans abris, sans nourriture… Kidnapper des pauvres, c’est ça se défendre ? Droits de l’homme, pour qui ?

_Ils ont le droit de vivre.

_Je comprends. Moi et tous ses pauvres gens oppressés et par l’État et par le ghetto, nous n’avons pas le droit de vivre? Sais-tu ce que ça fait de ne pas pouvoir traverser la frontière du Martissant pour me rendre à l’université ? Je suis pauvre moi. Sais-tu ce que cela fait de pas pouvoir sortir sans écouter la radio ? Ce que t’appelles droit de l’homme, je l’appelle droit de merde. 

_Je suis peut-être d’accord avec toi sur ce point ? Mais ce n’est pas eux… Qui les fournit armes et munitions ?

_Abstention.

_L’État.


Commentaires

  1. Mon frère, que du bon boulot comme d'hab. Tex sa yo anpil moun ta dwe li yo. Ou toujou anpil pwen ki sansib e se bien. Gen anpil travail ki dwe fet nan sosyete nou an. Touka,
    Félicitations frérot.

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